Le 30 octobre 2025, les éditions Perrin ont sorti le dernier ouvrage de Michaël Bourlet (352 pages, pour 23,90 euros) intitulé "La grande Guerre hors des tranchées". Plutôt que de tenter d'en faire une synthèse en quelques paragraphes, je remercie Desétagèresetdeslivres pour sa présentation synthétique. En un mot, ce livre est précieux, parce qu'il oblige à se mettre à jour ! Ceux qui n'ont aucune idée de ce qui s'est passé entre 1914 et 1918 subiront le même sort que celui de l'esseulé plongé un soir de bringue au milieu d'un groupe d'amis - de lui inconnus - rigolant de leurs souvenirs du lycée.

Rappel

La Grande Guerre s'étend sur plusieurs théâtres, de façon simultanée. Elle dure cinq ans, sans interruptions hivernales; les diplomates n'ont jamais leur mot à dire, jusqu'à l'armistice du 11 novembre compris. MB montre qu'elle sort des chemins battus, surprenant même les plus fins connaisseurs des conflits du XIXème siècle, ou des guerres de la Révolution et de l'Empire : en réflexion stratégique comme en rapidité d'exécution. 

Elle est industrielle. Elle impacte cruellement des dizaines de millions de civils, parfois vivants à des milliers de kilomètres de l'Europe : l'Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande). Elle laisse des traces indélébiles, dans les arbres généalogiques, dans la mémoire collective, et plus encore dans la géopolitique. Enfin, à une échelle démesurée par rapport à ce que l'on observe dans les siècles précédents - à égalité avec 1939-1945 ? - la Première guerre mondiale constitue un champ de recherches quasi infini. 

Il faut lire ce livre en se forgeant au préalable une culture préalable, concernant :

  1. les causes du conflit à l'été 1914. Accessoirement du ressort des Etats-majors, elles éclairent des conséquences multiples, la plus immédiate étant l'engagement des alliés non-européens des Européens; quid des colonies ?
  2. les lignes de failles des grands empires européens & méditerranéens : Istanbul confrontée au délitement de son cadre politique pluri-centenaire, Vienne fragilisée par ses peuples slaves ou balkaniques, Moscou prise au piège dans son expansionnisme dérégulé (mer Noire et Caucase)
  3. les données statistiques : quels sont les points faibles/forts des économies de guerre en passe d'être engagées dans un conflit long ? Pourquoi la démographie vieillissante d'un vieux pays paysan ne pèse pas de la même façon que celle d'une puissance industrielle & urbaine en pleine croissance ?
  4. les infrastructures de transport des pays de l'Ouest de l'Europe (hors bateaux), car les armées s'appuient dès les premières heures de leur engagement sur des réseaux ferrés modernes, mais conçus pour des temps de paix. Ainsi, les Allemands étirant leurs lignes d'approvisionnement au-delà de la Belgique (en septembre 1914) découvrent trop tard pour eux : encombrements et pénuries.
  5. le feu et ses implications matérielles & techniques. Quelle est la portée de tir de l'artillerie de campagne ? Si l'on tire sans voir la cible (le très vite redouté canon de 75 frappe à plus de 5 km), il faut des cartes, prendre de la hauteur avec des ballons, alimenter la cadence depuis l'arrière. A partir du moment où le front se fixe (à l'Ouest), les tranchées révolutionnent tout : nombre de munitions, nécessité de tirer en cloche, utilisation des gaz, etc.
  6. On ne meurt (presque) plus par armes blanches et les munitions individuelles tuent moins, tandis que l'artillerie ennemie blesse, abime, traumatise. La médecine de guerre naît ainsi après 1914 : elle existait avant mais se limitait à l'art d'amputer en limitant (autant que possible) le choc traumatique. Pour la première fois, on réussit à transporter - vivants - un bon nombre de blessés.
  7. (Enfin) l'entrée tardive des Etats-Unis dans la Grande Guerre, contre les puissances centrales : très ménagées en 1914, lorsque le rapport de forces semblait peu favorable à la France. L'opinion publique américaine est longtemps insensible au sort des populations civiles (même lorsqu'est connu le génocide arménien, en 1915)...

La table des matières distingue cinq chapitres... 

Ce ne sont pas exactement cinq thèmes totalement unifiés que l'on découvre : à cause de la complexité des deux premiers chapitres. Dans le premier, Michaël Bourlet réunit (sous deux angles, séparés par la chronologie) les enseignements du front de l'Est  associés à ceux tirés de la guerre dans le désert d'Afrique du Nord (Egypte-Libye). Ainsi, on comprend mieux pourquoi les généraux russes ont manqué de réussite en 1914 face aux Allemands : ces derniers s'en sortent in extremis à Tannenberg. L'offensive Broussilov de 1916 réussit, elle. Les Austro-hongrois refluent... Il faut lire MB pour saisir ce qui aurait dû se passer, et qui n'a pas eu lieu, faute d'exploitation en profondeur de leur coûteux succès par les armées du Tsar. Le régime autocratique succombe l'année suivante.

Dans le chapitre 2, l'historien dissèque les mouvements de troupes aux marges de l'empire Ottoman : au Caucase, et dans les Balkans (l'armée bulgare déposant les armes en 1918, devenue le maillon faible de la Triplice). Se retrouve aussi le front d'Italie apparu tardivement : la péninsule reste en dehors de la guerre en 1914. En 1918, les vainqueurs italiens estiment avoir payé plus que d'autres. La suite du livre se déroule avec moins de surprises : comment faire la guerre en ville (chapitre 3) ? La guerre navale occupe le chapitre 4. Pour clore en beauté l'ouvrage, la guerre autour et dans les colonies allemandes (chapitre 5) nous fait passer de l'Afrique au Pacifique.

Dans l'attente d'un échange (à venir) qui fera l'objet d'un podcast : 

je recommande sans restriction cet ouvrage. Mon amitié pour l'auteur ne fait que renforcer mon souhait de partager mes impressions sur cette lecture une veille de 11 novembre... Bon repos à tous ! 

Commentaires

Articles les plus consultés