Géographie des territoires politiques français, 2024

A la suite des élections du week-end, le Monde a publié un supplément cartographique de très bonne facture, malheureusement dépourvu de commentaires. Je souhaitais brièvement extraire les deux cartes les plus caractéristiques - me semble-t-il - de ce scrutin. Elles permettent à la fois de comprendre ce qui se jouera lors des prochaines législatives anticipées, et de poser un constat sur les blocages dont souffre le pays.

Le vote LFI se répartit entre les départements dépourvus de métropoles (moins de 8 % des votants) et ceux en disposant (entre 8 et 15 %). On retrouve - de fait - une couleur rose soutenu pour le Rhône (Lyon), les Bouches-du-Rhône (Marseille), le Nord (Lille), la Haute-Garonne (Toulouse), la Gironde (Bordeaux), la Loire-Atlantique (Nantes) ou encore l'Ille-et-Vilaine (Rennes). Je néglige la répartition plus précise, mais il apparaît nettement qu'à l'intérieur de chacun des départements, les quartiers dits populaires concentrent les électeurs insoumis. Bien plus encore, la région parisienne cumule les meilleurs scores, dans une harmonie rouge plus ou moins vive : en excluant l'Ouest, depuis la tour Eiffel jusqu'au château de Versailles (Yvelines). Ainsi se mêlent plusieurs arrondissements de la capitale - à fort niveau moyen de revenus, mais aussi concentrant le logement social - et les départements situés au-delà du périphérique. Parmi ces derniers, citons les trois principaux, ceux arrivant sur le podium de tête avec la Réunion : la Seine-Saint-Denis (37 % des voix), le Val d'Oise et le Val de Marne.

 

Pour le vote RN, l'infographiste a retenu les dominantes brunes lourdes de sous-entendus et donc inutilement polémiques. Faut-il rappeler qu'en 1933, un peu plus de 40 % d'Allemands avaient opté pour le NSDAP mais avec une très faible abstention (11 %), une sociologie et une répartition spécifiques. Le pays avait traversé une crise économique inédite, succédant à un écrasement total (militaire et politique) en 1918-1924. Si les Nazis arrivaient bien en tête dans la majorité des circonscriptions, le vote prussien sautait aux yeux, tandis que l'Ouest rhénan et le Sud bavarois - catholiques - se montraient beaucoup plus indécis (carte). Laissons là l'analogie hasardeuse, même si le continent européen est traversé aujourd'hui de soubresauts géopolitiques : en 1933, les Allemands pouvaient - peut-être - considérer que les Français avaient été cruels et injustes dans le règlement de la Première guerre mondiale; mais aucune puissance extérieure ne menaçait l'Allemagne. L'URSS collaborait à son redressement tandis que la ligne Maginot naissante figurait une stratégie défensive sans risque pour les populations vivant outre-Rhin. Rien de commun avec l'Union Européenne attaquée par la Russie de Poutine.

Que dire de nouveau sur la répartition en 2024 des électeurs du RN ? Les points forts déjà caractéristiques de ce parti bien ancré se manifestent logiquement sur le pourtour méditerranéen (à fort taux de chômage), mais aussi dans le bassin parisien (Est et Nord) : qu'il soit rural, semi-rural, périurbain, implanté dans les petites villes à deux heures de route de Paris (Yonne) ou dans des agglomérations bien dotées en équipements & infrastructures comme Amiens, Rouen, Reims, Orléans ou Tours. Au-delà, pas une région ne peut se dire exempte. Les Alsaciens, les Corses - forte abstention oblige - les Bretons, les Aquitains, etc. Partout, le RN arrive en tête. Mais la limite de l'analyse s'arrête bien vite. Tous ces votants partagent bien un point commun : ils se montrent hostiles/opposés au vote LFI. Pour le reste, qu'y a-t-il comme similitudes entre des jeunes mal insérés dans le milieu professionnel, vivant d'intérim - le plus souvent peu diplômés - et des fonctionnaires hors catégorie A. Que partagent des résidents en zone pavillonnaire dépendant de leurs voitures (avec la hantise des hausses de prix du carburant) et des couples CSP + vivant dans des appartements de centre-ville et se déplaçant en trottinettes électriques ?

 


 

Il n'est pas nécessaire d'user d'une boule de cristal pour annoncer une Chambre plus ou moins ingouvernable au début du mois de juillet. Sans vouloir dé-dramatiser par facilité, on peut juste remarquer que la situation préexistait : le gouvernement naviguait à vue, depuis deux ans, faute de majorité. De surcroît l'importance de la participation des votants va aussi beaucoup peser dans les équilibres. Il ne tient qu'aux Français d'exprimer clairement leur rejet des solutions de court-terme, de considérer que le dégagisme n'ouvre sur aucune perspective claire : pour la France, pour tout le continent et au-delà ! Ce double constat étant posé, mon pessimisme revient au premier plan...

Car des deux France qui se regardent en miroir, on ne peut déduire qu'une chose redoutable : la volonté d'en découdre. Dans un passé plus ou moins proche, notre pays a pris le risque des confrontations sanglantes. Il me semble que l'on pourrait faire l'économie de ces moments de folie collective, plus ou moins festifs. Pour ne prendre que deux exemples, en mai 1968 ou au printemps 1871, avec des motivations diverses et selon des mécanismes bien distincts, les dégâts ont été immenses. J'ai écrit sur mes deux blogs, ou sur les réseaux sociaux qu'une tension géopolitique complexe caractérisait la France depuis des décennies. Ne nous illusionnons pas sur l'existence de réponses rapides, simples et indolores !

Je propose une conclusion en trois points

  1. Il nous faut admettre notre part d'héritage : des dates fondatrices (1940, 1944, 1958 et 1962) mal digérées, un ex-empire colonial qui détermine toujours les contours de la population française, une construction européenne insatisfaisante (extensions, projet) et une alliance militaire (OTAN) mise à mal par l'Amérique républicaine (depuis Bush jusqu'à Trump). 
  2. Il nous faut reconnaître les échecs politiques des gouvernements passés. Ceux-ci sont aussi divers que variés, touchant au système de santé autant qu'aux retraites, à la politique énergétique autant qu'à la désindustrialisation, au productivisme agricole autant qu'à l'absence de projet environnemental tenable et accepté du plus grand nombre; hors Nimby. L'école souffre, l'université se meurt, les corps intermédiaires se taisent, les enfants des élites françaises vivent loin de leurs congénères, parfois à l'étranger dans des cursus payants inaccessibles au commun des mortels.
  3. L'aménagement du territoire a été piloté par l'Etat. Certains choix font aujourd'hui sourire, comme la mission Racine (pour l'aménagement du Languedoc) ou le plan Neige Au moins se souciait-on de développer ici, rééquilibrer là, en prenant en compte un calendrier sur plusieurs années, dépassant l'horizon d'une élection générale. La métropolisation n'est pas un phénomène naturel ni sans conséquences négatives; bien davantage, il est rejeté par la majorité des Français. A l'inverse, l'étalement urbain et l'homogénéisation sociale se heurtent au mur des réalités. Ils s'avèrent trop coûteux pour la collectivité [prise en charge des réseaux, multiplication des services (comme dans le cas scolaire : écoles publiques vs écoles privées sous contrat)] inadaptés à une population vieillissante, dont la fécondité se situe entre 1,5 et 2 enfants par femme.

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